Agé de 33 ans à peine, le saxophoniste Ben Sluijs témoigne d'une étonnante maturité dans la manière de gérer sa carrière musicale. Héritier, comme beaucoup de jeunes talents actuels, d'une certain tradition coltranienne mais aussi de Lee Konitz et du jazz cool en général, Sluijs ne manifeste pourtant aucune envie de se laisser enfermer dans un quelconque tiroir avec étiquette. Sa musique, il la veut libre et un rien inaccessible, le produit d'une nécessité intérieure quelque part à mi-chemin entre une rêverie poétique et une harmonie parfaite. Un état de grâce qu'il n'est possible d'atteindre que libéré des contingences physiques et matérielles. Du coup, Ben Sluijs ne s'éparpille pas et prend son temps. Musicien professionnel depuis le début de la décennie (il a joué notamment avec Philip Catherine, Toots Thielemans, Michel Herr, Joe Lovano et Billy Hart), il a enregistré son premier vrai compact (Food For Free) en mai 1997. Pour ce faire, il s'est placé à la tête d'un quartette dont il a soigneusement choisi les composantes avant tout pour leur capacité à comprendre, à intégrer, à prolonger sa musique. En s'entourant d'Erik Vermeulen au piano, de Piet Verbist à la basse et d'Eric Thielemans à la batterie, le saxophoniste s'est aménagé un formidable tremplin pour l'expression de ses propres idées.
Deux années plus tard, il enregistre à nouveau ce Candy Century avec la même équipe. Et l'on reste tout simplement stupéfait face à la beauté des thèmes, des harmonies, des solos, qui se dégage de cette musique. Bien que l'album doit avoir été méticuleusement conçu pour être écouté d'un seul tenant, je ne peux m'empêcher d'accorder ma préférence aux ballades, genre dans lequel Ben Sluijs excelle tout particulièrement : After All Things Been Said, Every Now An Then et Pour Jacques, dédié à la mémoire de Jacques Pelzer, sont des opérations de séduction lyrique. Plus enlevés, Candy Century et Out Of The Garden sont propices à d'étourdissantes variations, démontrant l'incroyable chemin parcouru par le leader en quelques années. Et pour s'en convaincre, il suffit d'écouter encore la première partie de New Life interprétée au saxophone en solo : son phrasé inventif, sa science du rythme et sa juste conception de l'espace y sont exemplaires. Quand à Zinaïda, superbe ballade aux accents orientaux qui fait penser au quartet de Rabih Abou-Khalil, Ben Sluijs y retrouve la flûte, instrument déjà utilisé avec bonheur sur le titre Daydreaming du précédent album. Au total, voilà une musique à la fois intense et ravissante, un équilibre parfait qui évoque le bonheur et éveille l'espoir d'autres beaux ouvrages à venir.