Ben Sluijs & Erik Vermeulen – 'Parity' (W.E.R.F., 2010)
Choc - Franck Bergerot et Sophie Chambon - Jazz Magazine-France n° 620 - 2011
L’examen de la production de nos amis belges du label de Werf*, installé à Bruges**, confirme la vitalité et le talent de nos voisins d’outre quiévrain.
Et notre coup de cœur du moment revient à deux musiciens confirmés, Ben SLUIJS et Erik VERMEULEN, fortes personnalités de la scène musicale belge, particulièrement active, qui ont enregistré cet admirable PARITY, « tranquillement », à la maison entre 2008 et 2010. Une entreprise familiale, artisanale, l’album étant mixé et enregistré par un autre complice Jeroen Van Herzeele, autre saxophoniste talentueux qui participe à l’aventure de Maaks Spirit, joue dans le quartet de Ben Sluijs, ou l’ensemble de Kris Deffoort. Tout comme Erik Vermeulen, il donne avec le saxophoniste Ben Sluijs cette commune impression d’une recherche permanente d’identité musicale.
Cet album vibre d’intensité retenue, entièrement composé sur le vif avec une infinie douceur. Ces voix s’élèvent complices, équitables, harmonisant la lisibilité d’un duo tout en demi teinte et en finesse : un ajustement ininterrompu du piano fait évoluer les compositions d’un paysage commun.
D’une apparente simplicité, c’est le corps et l’âme qui chantent explicitement et ces qualités jouent en faveur d’un album plus que convainquant. On se laisse emporter « Con alma »justement , dont on reconnaît la mélodie de Dizzy Gillespie, dépouillée des scories virtuoses pour n’en laisser que l’épure.
Sensibilité romantique? Peut-être n’y a-t-il pas tant de nostalgie malgré l’apparence du souvenir, à travers ces échos où le jazz revient superbe. Comme dans ce « Sweet and lovely », où la sensualité du phrasé le dispute à la vivacité du rythme. On en revient aux fondamentaux avec le morceau suivant de l’altiste « Early train » léger, vaporeux que le duo porte jusqu’à une certaine abstraction. Car de ce duo ressort un lyrisme appuyé et le mystère d’une direction, souvent à peine annoncée, ménageant les surprises d’une belle dynamique d’ensemble. Une intensité dans le jeu que partagent pianiste et saxophoniste : dans ce cheminement attentif, les deux amis recomposent une géographie personnelle, en partance pour des ailleurs rêvés, loin des ciels mouillés, vers les nuages sépia des photos en miroir de la pochette, ces fils électriques tendus sur lesquels se posent les oiseaux en attente d’un envol…
Ben Sljuis disait qu’il voulait constamment jouer pour s’effacer, et cette évanescence se ressent dans le son qu’il tire de son alto, projetant ou interprètant l’atmosphère de l’instant. Erik Vermeulen est dans le même état musical, le piano superbe, délicatement posé et déposé sur le temps musical.
Par ses harmoniques et ses couleurs, cette musique distille une mélancolie secrète, poésie d’irisations qui renvoie aux délicates impressions, aux rutilances diverses du jazz le mieux compris. Superbe !
SOPHIE CHAMBON (pour Jazz magazine France)
Choc - Franck Bergerot - Jazz Magazine-France n° 620
Jazz européen 1 SLU, PCDM4 , Europe 1.3 SLU 62 PCDM3 1CD n 40987
Ici ni franc soliste, ni franc accompagnateur, mais deux voix qui tracent leur route ensemble. C'est cet "ensemble" qui mérite commentaire tant paraît lâche le contrat qui les unit, renouvelé de compositions originales en improvisations pures. Comme une métaphore de l'amour durable, fait d'absences et de retrouvailles, où l'indépendance ne serait jamais abandon. La musique de l'altiste Ben Sluijs et du pianiste Vermeulen n'est certes pas une musique de la certitude. On y avance pas sous la bannière et sur les grandes routes du bop. Un cheminement rubato plutôt inquiet où chaque pas invente le suivant, tantôt en guidant celui du comparse, tantôt le faisant prendre les devants pour le rejoindre plus loin. Ainsi se concilient deux héritages : celui de Lee Konitz et d'Ornette Coleman.